Satie, agacerie en tête de bois

Erik Satie (1866-1925) est l'auteur d'une poignée d'œuvres phares, les Gnossiennes, les Gymnopédies ou Parade. Après avoir trouvé dans de courtes pièces pour piano une simplicité radicale qui annonce l'épure d'un certain XXe siècle, Satie s'enfonce dans les mystères de l'ésotérisme, vu comme un terrain d'expérimentation, puis s'éclipse à Arcueil. Relancé par Ravel, cherchant une esthétique hors de l'influence de son ami Debussy, il devient progressivement, à partir des années 1910 et jusqu'à sa mort, un chef de file de la modernité, inventeur de la musique d'ameublement, compagnon de route de Picasso, Picabia, Cocteau, Tzara ou Duchamp. Créateur d'une musique transparente derrière laquelle il s'efface, Satie est le premier compositeur qui sort de l'histoire de la musique pour devenir un mythe errant sans identité propre, évoqué ici au miroir du monde contemporain qu'il reflète déjà.

Constituant la forme privilégiée d'expression du compositeur, les lettres d'Erik Satie ont servi ses débuts en société, provoqué ses pires ennuis, ravi, par leurs formules humoristiques et le soin qu'il prenait à les calligraphier, ses très nombreux et souvent illustres correspondants. Elles reflètent son caractère intime et donnent un portrait de la vie culturelle parisienne, de 1890 à 1925.

Dans l'imaginaire collectif, le personnage d'Erik Satie est inséparable de sa musique. Peu de créateurs, pourtant, se sont employés autant que lui à débarrasser leurs œuvres de toute trace subjective. Pour mieux éviter toute allusion explicite -ou implicite- à sa vie privée, Satie est allé jusqu'à s'interdire pratiquement d'en avoir une, en faisant de sa personne, de son comportement quotidien, et même de son apparence physique, un drapeau, en quelque sorte, de son œuvre. Si bien que l'on peut suivre assez fidèlement l'évolution de ses préoccupations esthétiques à travers les divers personnages que, tel un acteur de théâtre, il a successivement incarnés.

Anne Rey est entrée dans l'univers d'Erik Satie sans préjugés, refusant d'accepter sans vérification les louanges exaltées de ses thuriféraires comme les injures de ceux qui méprisent son œuvre.

Elle analyse sérieusement ces petites musiques faites apparemment avec rien et qui demandaient pourtant à Satie " des tours de force pour mettre une mesure debout ". Elle regarde l'homme et l'écoute sans parti pris, sans complaisance, mais non sans attendrissement parfois, et ramène de sa plongée dans cet univers déjà lointain d'utiles clés pour déchiffrer cette œuvre déroutante.

Rassemblement d'écrits par Érik Satie.